Lettre ouverte du Front commun pour la transition énergétique au premier ministre du Québec, Philippe Couillard
Communiqué de presse accompagnant la lettre ouverte
Le 29 juillet 2016
Monsieur le Premier Ministre,
Mesurez-vous la portée du projet de loi sur les hydrocarbures que votre gouvernement a déposé le 7 juin dernier, dans le cadre de son projet de loi no 106[1]?
Ignorez-vous que, loin d’interdire la fracturation hydraulique et l’injection à haute pression de produits toxiques dans le sol, ce projet de loi ouvre toute grande la porte à cette technique hautement décriée, que la population du Québec a rejetée massivement, à répétition, sans relâche, depuis la fin des années 2000?
Vous a-t-on dit que ce projet de loi perpétue une doctrine du xixe siècle, le « free mining », et officialise le droit de propriété des pétrolières et gazières sur les sous-sols des terrains sous licence − soit la plus grande partie du Québec habité? Qu’il empêche les propriétaires légitimes de refuser l’accès à leurs terrains, sous peine d’expropriation?
Avez-vous songé que, s’il y a eu peu d’expropriations dans le passé, c’est peut-être parce que les propriétaires touchés ne sont pas souvent enclins à se battre, quand ils savent que la loi les donne perdants d’avance?
Savez-vous qu’en conjonction avec le Règlement sur le prélèvement des eaux et leur protection, le projet de loi sur les hydrocarbures régit les distances entre les sources d’eau potable et les têtes de puits sans tenir compte des forages latéraux percés sous la terre? Comprenez-vous qu’il rendrait ainsi caduques et non avenues les prétentions des municipalités à garantir à leurs citoyens un accès sûr à l’eau potable?
Lors de la première intrusion de l’industrie du gaz de schiste au Québec, les citoyens ont mené une grande opération intitulée « Vous n’entrerez pas chez nous! ». Le projet de loi sur les hydrocarbures leur riposte : « Eh bien oui, on va entrer chez vous! Taisez-vous. »
Aucun développement à grande échelle de la filière des hydrocarbures n’est prévu au Québec, dites-vous. Certes, les prix ne justifieraient peut-être pas des investissements massifs dans le pétrole ou le gaz à court terme. Mais qu’en est-il du moyen et du long terme?
Avez-vous noté la multiplication des projets dans le Bas-Saint-Laurent, depuis que les déclarations de votre gouvernement ont réveillé l’appétit des compagnies?
Avez-vous consulté le site Web de l’Association pétrolière et gazière du Québec? Avez-vous lu le blogue de son président?
Avez-vous parcouru les mémoires dont les pétrolières et les gazières abreuvent votre ministre de l’Énergie et des Ressources naturelles, empressées qu’elles sont d’assurer leur emprise sur les Basses-Terres du Saint-Laurent, la Gaspésie, l’Île d’Anticosti et tout autre territoire propice?
Même le golfe du Saint-Laurent, écosystème précieux et fragile, d’importance mondiale, n’est pas à l’abri de leur convoitise.
On les entend presque trépigner d’impatience.
Et puis, il y a autre chose aussi! Vous vous rappelez sûrement, Monsieur le Premier Ministre, vos déclarations vibrantes à Paris, en décembre dernier. Votre engagement solennel à réduire les émissions de gaz à effet de serre du Québec de 37,5 % d’ici 2030, par rapport à 1990.
Or, l’évaluation environnementale stratégique sur les hydrocarbures de votre ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles a clairement démontré que l’exploitation des énergies fossiles serait « difficilement conciliable avec les objectifs du Québec en matière de lutte contre les changements climatiques ». Vous l’aurait-on caché?
Et finalement, si on parle des vraies affaires, Monsieur le Premier Ministre, vous savez que la prospérité du Québec doit venir d’une autonomie énergétique fondée sur l’économie du savoir et sur nos ressources locales, propres et renouvelables – créatrices d’emplois durables. Pas sur un secteur en déclin qui nous garde prisonniers d’énergies polluantes et dépassées.
Arrêtons de jouer au chat et à la souris, Monsieur Couillard.
Vous avez consulté la population et les groupes environnementaux jusqu’à l’épuisement, mais ils ont eu le sentiment d’être manipulés et non écoutés. Vous avez confié des mandats au Bureau d’audiences publiques sur l’environnement, interrogé les scientifiques, entendu les économistes. Pour peu qu’elle ne vienne pas de la sphère d’influence du secteur pétrolier et gazier, la réponse est toujours la même : le développement de la filière des hydrocarbures au Québec, c’était non, c’est non, ça restera non.
Tourner la page ne sera pas facile, assurément. Il y a des idées préconçues, des façons de faire établies, des biais idéologiques, des droits acquis. Nous vous demandons d’être courageux. Si nos gouvernements passés s’étaient laissé enfermer dans la voie facile des analyses étroites et des contraintes à court terme, la puissance hydroélectrique du Québec appartiendrait toujours à des intérêts privés, le Québec ne serait pas un leader mondial de l’énergie propre et la Loi sur le développement durable du Québec n’aurait jamais vu le jour.
Il vous revient, monsieur Couillard, de réaliser la seconde révolution énergétique du Québec.
Scindez le projet de loi no 106 : la transition énergétique et le développement de la filière des hydrocarbures n’ont rien à faire dans le même projet de loi. Retenez, renforcez et complétez les dispositions qui mènent le Québec vers une véritable transition énergétique, sans pétrole ni développement du gaz naturel fossile, liquéfié ou non. Retirez-en le projet de loi sur les hydrocarbures, rachetez les « claims » qui ont été bradées à 0,10 $ l’hectare et revoyez votre stratégie de fond en comble, de manière à suspendre indéfiniment toute activité d’exploration ou d’exploitation du pétrole et du gaz au Québec.
Nous sommes en 2016, monsieur le Premier Ministre. De quel côté de l’histoire voulez-vous être?
Le comité de coordination du Front commun pour la transition énergétique
Patrick Bonin, Greenpeace
Alizée Cauchon, Équiterre
Carole Dupuis, Regroupement vigilance hydrocarbures Québec
Floris Ensink, Sierra Club Québec
Marie-Ève Leclerc, Stop Oléoduc Portneuf – Saint-Augustin
Jacques Tétreault, Comité des Citoyens et Citoyennes pour la Protection de l’Environnement Maskoutain
Cosignataires :
En cohérence avec les travaux du Collectif scientifique sur la question du gaz de schiste
Renseignements
Gabriel Marquis, coordonnateur
581 307-8613
info@pourlatransitionenergetique.org
http://www.pourlatransitionenergetique.org
[1] Le projet de loi sur les hydrocarbures est le chapitre IV du projet de loi n°106 : Loi concernant la mise en œuvre de la Politique énergétique 2030 et modifiant diverses dispositions législatives