Le projet « Décarbonation, descente énergétique et transition porteuse de justice sociale »
Pourquoi ce projet?
Les énergies fossiles représentent 54 % de l’énergie consommée au Québec et 70 % des gaz à effet de serre émis sur le territoire (État de l’énergie au Québec 2024). Leur abandon est donc essentiel à la décarbonation du Québec.
Cela peut se faire en réduisant la demande totale d’énergie, en augmentant l’offre d’énergies renouvelables ou en combinant les deux stratégies. Sans renoncer complètement aux options d’efficacité énergétique, le gouvernement du Québec privilégie clairement la deuxième stratégie, soit la construction accélérée de nouvelles infrastructures de production d’énergie. Il s’emploie même à attirer le plus grand nombre possible d’industries énergivores en sol québécois, augmentant d’autant le « besoin » de hausser les capacités de production. Selon cette vision, endossée par Hydro-Québec, il faudrait doubler en 25 ans notre production actuelle d’électricité, un chantier qualifié de « pharaonique », et nous lancer dans la production massive de gaz de sources renouvelables (principalement gaz naturel renouvelable et hydrogène,).
Or, de nombreuses voix s’élèvent pour contester la pertinence et même la faisabilité de cette orientation, qui soulève des enjeux cruciaux quant à ses impacts sur les écosystèmes et la biodiversité des territoires, à l’acceptabilité des projets d’infrastructures au sein des communautés touchées, à leurs effets de verrou sur la surexploitation des ressources ainsi qu’à la disponibilité et aux coûts de la main-d’œuvre nécessaire à la réalisation de ce mégachantier.
Diviser par deux la consommation d’énergie
La vision développée par le FCTÉ dans sa Feuille de route Québec ZéN rendrait superflue la construction massive de nouvelles infrastructures énergétiques puisqu’elle repose sur une réduction de moitié de la consommation d’énergie, assortie de mécanismes garantissant l’abordabilité de l’énergie pour l’ensemble de la population, dans le respect des limites des écosystèmes.
La pertinence de cette vision a trouvé sa confirmation dans le dernier rapport du GIEC. Parmi les cinq trajectoires proposées dans ce document, qui compile les travaux de nombreuses équipes de recherche des quatre coins du monde, la trajectoire « faible demande » (LD) est la seule à présenter un espoir raisonnable de contenir le réchauffement planétaire à moins de 1,5 °C sans dépassement et sans miser sur des technologies de capture et stockage du carbone dont les preuves restent à faire. Cette trajectoire démontre qu’à l’échelle mondiale, en utilisant les infrastructures autrement et en transformant les manières de fournir les services, il serait possible d’améliorer le bien-être de base de la population tout en réduisant la demande d’énergie en amont de 45 % en 2050 par rapport à 2020.
Le projet « Décarbonation, descente énergétique et transition porteuse de justice sociale » du FCTÉ vise à nourrir le dialogue sur les trajectoires possibles de sobriété énergétique, au moyen de scénarios chiffrés, à susciter un débat de société sur la sobriété énergétique, à mieux comprendre les manières concrètes de la réaliser dans les divers secteurs, à créer une pression pour l’adoption de politiques publiques menant à la sobriété énergétique et à soutenir l’acceptabilité sociale de ces politiques.
Il se décline en deux volets, soit la recherche scientifique et le dialogue social.
Recherche scientifique sur la descente énergétique (en cours)
Ce projet de recherche est mené par un étudiant au doctorat de l’Université Concordia avec le soutien de son directeur de thèse et en interaction avec une équipe multidisciplinaire réunissant des professeur.e.s et des étudiant.e.s de l’UQAM ainsi que des membres du FCTÉ. Il vise dans un premier temps à effectuer un survol des différents scénarios de transition énergétique et une comparaison de ceux-ci avec la Feuille de route Québec ZéN. Le survol incluera une synthèse des solutions proposées par les scénarios, en soulignant les implications et les suppositions macroéconomiques à la base de celles-ci. Ces solutions, incluant celles de la Feuille de route du FCTÉ, seront examinées selon leur faisabilité (efficacité empirique versus supposée par le modèle) et leur désirabilité (effet sur le bien-être). La vision de transition du FCTÉ basée sur une décroissance énergétique sera étudiée, en analysant les solutions envisagées et en mettant l’emphase sur le besoin de quantifier non seulement les impacts sur l’énergie et sur les émissions de GES d’un tel scénario, mais aussi ses impacts macroéconomiques.
Le chercheur fera aussi une revue et une synthèse des outils de modélisation des scénarios de transition en fonction des théories et hypothèses macroéconomiques sous-jacentes, des méthodologies utilisées, leurs forces et faiblesses ainsi que les solutions représentées. Un outil de modélisation qui serait à mieux d’explorer et faire valoir le scénario de descente énergétique du FCTÉ sera identifié sous forme conceptuelle. Les étapes méthodologiques permettant de développer l’outil conceptuel seront discutées.
Un outil déjà disponible sera aussi identifié en parallèle afin d’effectuer un premier pas dans l’exploration des visions contrastantes identifiées dans la littérature. On procédera ensuite à une première simulation, sur le plan biophysique, qui cherchera à déterminer, selon les différents scénarios disponibles, les implications d’une juste part de matériaux pour la transition énergétique au Québec.
Cette première étape de modélisation, combinée à la revue et synthèse des outils de modélisation, mettra la table pour la concrétisation d’un modèle permettant de simuler d’autres éléments singuliers de la vision proposée par le FCTÉ.
Chercheur : Étienne Guertin, candidat au doctorat en modélisation des transitions carboneutres, Université Concordia
Directeur de thèse : Damon Matthews, professeur en sciences du climat, Université Concordia
Comité d’encadrement : Éric Pineault (président du comité scientifique et professeur, Institut des sciences de l’environnement, UQAM), Cécile Bulle (professeure ESG UQAM et spécialiste en analyse du cycle de vie), Titouan Greffe (étudiant au doctorat, ESG UQAM), Iris Benoit (étudiante à la maîtrise, UQAM), Mélanie Pelletier (SAC-UQAM), Jean-François Boisvert, Bruno Detuncq et Carole Dupuis (FCTÉ).
Élaboration de scénarios basés sur la Feuille de route Québec ZéN (en démarrage)
Ce projet de recherche partenarial est supervisé par le professeur Éric Pineault et réalisé par Krystof Beaucaire. Il vise à coconstruire, avec la Table Énergie du FCTÉ, des scénarios de descente énergétique qui intègrent les principes de justice sociale énoncés dans la Feuille de route Québec ZéN et de comparer ces scénarios aux trajectoires que proposent d’autres intervenants au Québec (Hydro-Québec, Énergir, Gouvernement du Québec). Sur le plan méthodologique, les chercheur.e.s utilisent l’approche des « SSP », (shared socio-economic pathway), soit des scénarios de trajectoires communes d’évolution socio-économique (GIEC 2022). La construction d’un SSP0, ou trajectoire de descente énergétique pour le Québec, implique deux étapes : 1) l’élaboration d’un scénario narratif où sont décrites les structures sociales et énergétiques d’un Québec futur ayant fait une transition juste ainsi que les mécanismes et transformations sociales et techniques ayant propulsé le Québec sur cette trajectoire de descente; 2) un volet quantitatif où l’impact énergétique et en émission de GES est estimé pour chaque mesure mise en œuvre dans la transition. Le résultat de cette démarche pourra soutenir les efforts de dialogue social du FCTÉ et pourra également servir d’intrant dans différents modèles énergétiques et macro-économiques qui simulent les trajectoires de transition dans une perspective d’analyse comparative.
Pour l’étape de construction d’un scénario narratif, la recherche procédera en quatre temps :
- extraire de la Feuille de route Québec ZéN des éléments de construction du scénario;,
- comparer ces éléments à la littérature scientifique existante;
- générer des scénarios possibles de descente en fonction de différents paramètres socio-écologiques (par ex. démographie, intensité de réchauffement);
- produire un scénario à partir de cette matière première dans le cadre d’ateliers d’idéation collective réunissant chercheurs et membres du FCTÉ.
Le volet quantitatif exige la constitution d’une base de données des impacts énergétiques et d’émission des différentes mesures qui s’inscrivent dans le scénario narratif à partir de la littérature scientifique existante et adaptée au contexte québécois.
Superviseur : Éric Pineault, président du comité scientifique et professeur, Institut des sciences de l’environnement, UQAM
Chercheur.e.s : Krystof Beaucaire
Comité d’encadrement : Cécile Bulle (professeure ESG UQAM et spécialiste en analyse du cycle de vie), Titouan Greffe (étudiant au doctorat, ESG UQAM), Iris Benoit (étudiante à la maîtrise, UQAM), Mélanie Pelletier (SAC-UQAM), Jean-François Boisvert, Bruno Detuncq et Carole Dupuis (FCTÉ).
Dialogue social – La grande conversation sur l’énergie (en construction)
Le FCTÉ estime qu’une diminution radicale de la demande est indispensable pour établir un système énergétique viable, soit un système énergétique décarboné qui respectera les limites des écosystèmes et assurera l’abordabilité de l’énergie pour toutes et tous au terme d’une transition juste. Un peu partout dans le monde, des chercheurs, des fournisseurs d’énergie et des gouvernements de plusieurs régions du monde sont arrivés à la même conclusion. Notamment, le Ministère de la transition écologique de la France s’est appuyé sur une vaste étude réalisée par le Réseau de transport d’électricité pour faire ce constat catégorique : « Atteindre la neutralité carbone en 2050 n’est possible que par une grande modération des besoins énergétiques dans les prochaines décennies : il s’agit de baisser de 40 % environ la consommation globale d’énergie d’ici 2050. Cela suppose des efforts continus d’efficacité et de sobriété énergétiques dans tous les champs (industrie, transports, bâtiments) et une politique active d’économies d’énergie ».
Cette approche présente des défis énormes. Elle nécessitera une évolution rapide des mentalités, la mise en place de politiques publiques axées sur la sobriété, des investissements massifs dans des infrastructures du 21e siècle (notamment en transport des personnes et des marchandises) et la transformation de plusieurs habitudes de vie bien ancrées dans la population. Elle exigera aussi qu’on saisisse systématiquement toutes les occasions pour améliorer les conditions de vie des personnes en situation de précarité énergétique.
Ainsi, la nature et l’ampleur des changements requis font en sorte que la descente énergétique du Québec ne saurait être conçue en vase clos par une poignée de chercheurs. Les propositions doivent être soumises au dialogue social, tant pour les faire connaître et les expliquer que pour les valider, les cribler et les parfaire grâce aux discussions réunissant un large éventail d’intervenants.
Le volet Dialogue social du projet « Décarbonation, descente énergétique et transition porteuse de justice sociale » du FCTÉ vise à répondre à ce besoin en engageant les membres et alliés du Front commun pour la transition énergétique, les acteurs du secteur de l’énergie et des autres secteurs touchés par la transition, ainsi que la société en général, dans une réflexion collective, fondée sur la science et sur les valeurs de justice sociale, au sujet de l’avenir énergétique du Québec, et à favoriser l’émergence de consensus à cet égard. Ce volet inclura diverses activités qui seront définies et annoncées au cours des prochains mois et nous espérons qu’il contribuera à faire de la décarbonation du Québec un projet de société ralliant la population autour d’objectifs partagés visant le bien commun.